HOMMAGE A VICTOR RUELLO (Concours du 19 septembre 1976)
La brutale disparition, le 20 juin 1976, de Victor Ruello, titulaire des grandes orgues de la cathédrale de Chartres pendant 33 ans, a consterné non seulement ses nombreux amis, qui appréciaient sa fidélité, sa gentillesse et sa simplicité, mais aussi tous les milieux organistiques, qui, depuis longtemps, avaient pris la mesure de son talent et de son dévouement à la cause de l’orgue.
L’Association des Grandes Orgues de Chartres a déjà exprimé par la voix de son Président ce qu’elle devait à Victor Ruello et pour la part qu’il a prise, «ouvrier de la première heure», dans la rénovation de l’instrument que nous admirons aujourd’hui, et pour celle qu’il prenait toujours dans l’organisation du Concours international « Grand Prix de Chartre », dont on ne soupçonne guère, parce qu’il demeure caché, le travail qu’elle exige.
Nous évoquerons, ici, notre ami en rappelant à grands traits les principales étapes de sa vie et de sa carrière et en citant quelques-uns des témoignages qui lui ont été rendus.
Victor Ruello est né à Bellac (Haute-Vienne) le 23 avril 1918, d’une famille d’origine bretonne, profondément croyante et très musicienne. Il passa son enfance à Mayenne, où son père était alors en garnison. Tout jeune, la musique l’attira et le titulaire du grand orgue de Notre-Dame de Mayenne, Auguste Fauchard, qui fut plus tard titulaire de la cathédrale de Laval et laissa d’importantes compositions pour orgue, guida ses premiers pas d’organiste… en herbe.
Venu à Chartres avec les siens en 1929, il fréquenta l’Institution Notre-Dame (où il devait, plus tard, professer la musique) et, surtout, la Maîtrise Notre-Dame, où il remporta régulièrement les prix de piano et de chant. Mais c’est à Orléans qu’après 1936 il se voua spécialement à l’orgue, en allant suivre la classe d’orgue de l’École César-Franck de Paris avec, successivement, Joseph Bonnet, Abel Decaux, Édouard Souberbielle, puis en tenant l’orgue de chœur, occasionnellement le grand orgue, de Saint-Paterne, à Orléans.
À la mort, le 2 mars 1943, d’AIphonse Marré, éminent titulaire – depuis plus de 30 ans – du grand orgue de Chartres, il sollicita le poste et l’obtint fin 1943 à la suite du concours instauré par le Chapitre de la cathédrale. Victor Ruello s’imposa rapidement, tirant le meilleur parti d’un instrument qui avait terriblement souffert des intempéries pendant l’Occupation, faisant montre en même temps d’une efficace activité musicale et pédagogique.
La plus grande joie de sa carrière d’organiste devait être l’inauguration, au soir du 5 juin 1971, de « son » orgue somptueusement rénové, qu’il toucha le premier selon l’usage, en interprétant la Marche épiscopale de Louis Vierne…
Victor Ruello a donné de nombreux récitals : à Paris (Notre-Dame et Palais de Chaillot), en province (Limoges, Rennes, Guérande,… ), en Angleterre (Chichester), en Belgique (Bruxelles, plusieurs fois), en Suisse (Lausanne et à la Radio). Il aimait, dans ses récitals, jouer des musiciens français contemporains – Louis Vierne, Marcel Dupré, Jehan Alain,… – qu’il savait faire apprécier. Tout comme à Chartres, il aimait livrer son art à qui en était avide ; il se prêtait avec plaisir aux interrogations des auditeurs, des jeunes plus particulièrement.
Talentueux exécutant et brillant improvisateur, il fut aussi compositeur, trop méconnu sans nul doute en raison même de son désintéressement : on lui doit plusieurs chœurs à quatre voix mixtes, une messe, la Cantate du VIIème centenaire (de la Dédicace de la cathédrale), etc… Quelques gestes ou témoignages significatifs rendront moins imparfaite cette image du Maître regretté. On sait, par exemple, que l’éminent organiste Gaston Litaize était venu spécialement de Nice pour tenir les grandes orgues pendant la messe d’inhumation, le 23 juin à la cathédrale, et rendre ainsi un dernier hommage à son ami ; une émouvante improvisation, au moment de l’Absoute, sur le Chant des Adieux prenait tout son sens plénier. Le 25 juillet, à la cathédrale encore, ayant accepté de remplacer Victor Ruello, qui devait donner un récital ce jour-là, il évoqua délicatement son souvenir en interprétant deux des œuvres prévues à son programme et improvisant « sur le nom de Victor Ruello ».
Mgr Roger Michon, évêque de Chartres, rappelant l’excellence du musicien, ajoutait : «C’était un homme plein de foi qui avait mis son art au service de l’Église».
De Pierre Firmin-Didot : «Nous sommes dans la peine… Nous perdons là un ami incomparable par sa gentillesse, sa simplicité, sa modestie dont chacun parle et reconnaît les mérites». De Michel Louvet, du Comité national de la musique «Homme d’une infinie délicatesse, d’une modestie et d’une courtoisie bien rares, et musicien pétri de talent, il œuvra aux claviers de son instrument jusqu’à sa mort».
«Il assumait avec une tranquille sérénité une mission dont les joies profondes qu’elle procure ne l’emportent pas toujours sur les servitudes. – De l’homélie prononcée par Mgr Dongradi lors des obsèques : « On disait de lui : le Maître Victor Ruello – et il l’était. Mais s’il était un maître, il fut aussi -cela dans la ligne de sa foi- un serviteur. L’organiste qui apporte son concours à un office religieux est serviteur de Dieu, serviteur de la liturgie, serviteur de l’assemblée. Notre ami le fut réellement. Il comprenait que, loin de s’imposer, il devait permettre aux fidèles de célébrer dans la grandeur, dans la dignité, dans la beauté, le culte dû à Dieu, les louanges du Très Haut… »
Ce dernier témoignage, enfin, d’une paroissienne de la cathédrale, que Victor Ruello eût peut-être préféré à tous les autres : « Il a mis ses dons au service de ses frères et de l’Église. Il nous a aidés à rencontrer Dieu, il nous a aidés à prier… Nous lui disons MERCI ».